top of page

Pour une histoire de l'art juridique !


Si Léonard de Vinci avait probablement raison d’affirmer qu’il n’y a pas de lignes de séparation entre la nature et l’art, qu’en est-il de l’art et du droit ?


Pour une histoire de l'art juridique

Analysant La Joconde de Léonard de Vinci, l’historien de l’art Daniel Arasse a expliqué l’impossible transition du paysage qui entoure Mona Lisa en arrière-plan, qui ne peut être unifiée que par la grâce de son énigmatique sourire. Si Léonard avait probablement raison d’affirmer qu’il n’y a pas de lignes de séparation entre la nature et l’art, qu’en est-il de l’art et du droit ? Le premier a pour dessein de lutter contre les obligations alors que le second construit des séparations, des distinctions et des qualifications permettant de respecter des règles et des limites. Or, le rôle du droit n’est-il pas justement d’assurer « la transition a priori impossible entre le chaos du litige et des prétentions contraires et l’harmonie d’une solution reposant sur le juste équilibre du suum cuique »[1] ?


Il est certain que si l’artiste doit à un moment ou un autre se confronter au droit, le juriste ne rencontrera pas forcément l’art sur son chemin. Cela est dû au fait que le droit est fortement replié sur lui-même ou très « autonomisé »[2]. Or, « le droit et l’art [ont] en commun de conduire le contingent et l’inachevé vers un idéal de perfection »[3]. Il semblerait donc bien que ces deux disciplines conduisent à un enrichissement réciproque fait d’emprunts, d’interactions et de dialogue. En effet, le droit relève d’une narration et comprendre l’importance de la culture visuelle serait susceptible d’apparaître comme primordiale. Les artistes ont donc beaucoup à nous apporter car, en tant que narrateurs visuels, leurs tableaux et autres sculptures nous dévoilent des choses qui dépassent l’image même, ils offrent une peinture de l’âme et des mœurs[4].


L’art, comme le droit, est un phénomène social, puisqu’il naît en société. Aussi, la création artistique apparaît sous deux espèces : elle est d’abord une technique, une forme, ensuite une évocation d’images et de représentations originales, brutales ou touchantes, qui parlent à l’esprit ou au cœur. Surtout, il est bien admis que la narration du juriste peut « atteindre parfois une esthétique qui confine à l’art [de telle sorte que, par exemple,] un rapport sans défaut à la Cour de cassation vaut aussi, par certains côtés, un poème »[5], et l’on parle même d’art juridique. Si le terme art est ici revendiqué, c’est que la pratique du droit est représentée comme exigeant de la grandeur et l’idée de cette grandeur s’impose grâce à une esthétique de la forme[6]. En apprenant à lire et à interpréter les surfaces plastiques et graphiques, le juriste gagnerait à penser comme un artiste, puisque de la créativité et de l’inspiration naîtraient les meilleures narrations au service du droit.


Pour autant, si Thémis, incarnation de la Justice aux yeux bandés, fait usage d’une balance, il ne peut être accordée une quelconque primauté à ce symbole du juste équilibre puisque le droit ne peut faire sien ce dernier que s’il se combine au glaive, symbole de la justice[7]. Entre représentation pittoresque du droit, à l’image des innombrables « Jugement de Salomon », la représentation du droit prêterait bien à une analyse de contenu, celle-ci pouvant alors abreuver et modifier les habitudes mentales des juristes : « Une iconographie qui trouve le droit sans l’avoir cherché, c’est l’hypothèse. Il faut souligner le point, parce qu’il existe aussi une iconographie qui est juridique d’intention » aussi « de même que le roman le plus strictement littéraire peut charrier des paillettes juridiques, dans l’œuvre d’art, sous un sujet parfaitement étranger au droit […], le juriste peut percevoir quelque chose qui s’adresse obscurément à lui »[8]. Si Hans Hehr, dans son ouvrage Das Recht im Bilde (1923), a livré une idée du musée imaginaire du droit allemand, tout reste à faire pour celui du droit français. En miroir, que peuvent également nous dire de notre perception du droit les riches décors et les architectures de nos cours et palais de justice disséminés sur le territoire ou de nos grandes institutions juridiques ?


En cela, l’œil du peintre n’a plus à s’opposer à la langue du juriste[9], car l’art a indubitablement à nous apprendre sur la façon de pratiquer et de penser le droit. N’y aurait-il pas ici à s’inspirer des œuvres d’art pour trouver les proportions parfaites du droit ?



[1] M. Guyomar, « Un droit en équilibre », in Mélanges B. Genevois, Dalloz, 2009, p. 536.

[2] N. Heinich et B. Edelman, L’art en conflits. L’œuvre de l’esprit entre droit et sociologie, La Découverte, 2002, p. 5.

[3] B. Oppetit, Droit et modernité, PUF, 1998, p. 191.

[4] V. par ex. M. Garçon, Contre la censure et autres plaidoyers pour les Arts et les Lettres, Les Belles Lettres, 2016.

[5] A. Bancaud, La Haute Magistrature judiciaire entre politique et sacerdoce ou le culte des vertus moyennes, LGDJ, 1993, p. 221.

[6] V. not. S. Bernatchez, « Oh ! le beau droit. La pertinence du jugement esthétique pour le jugement critique », Les Cahiers de droit, 2017, vol. 58, p. 87 ; F. Colonna d’Istria, « Contre le réalisme : les apports de l’esthétique au savoir juridique », RTD civ. 2012, p. 1 ; Ph. Jestaz, « Le beau droit », Arch. phil. dr., 1995, t. 40, p. 14.

[7] V. Hayaert, « L’allégorie de Justice et ses bandeaux », Les Cahiers de la Justice, 2018, n° 4, p. 619.

[8] J. Carbonnier, Sociologie juridique, PUF, 1978, rééd. 2016, p. 182.

[9] C. S. Martinez, « The Painter’s Eye and the Lawyer Tongue : The Artist as Witness », in D. McLean (dir.), The Trials of Art, Ridinghouse, 2006, p. 121.



*


« Faire son droit », c’est apprendre à trouver la justice en raisonnant avec rectitude et rigueur par le droit. Un juriste est un esprit libre et non-conformiste, ce qui lui permet de progresser vers plus d’humanité, de sagesse et de prudence.

Pour cela, et à la différence de l’université, COURS PRUDENCIA – ÉCOLE DE DROIT TOULOUSE te guide et t’accompagne afin de développer ton esprit critique et renforcer ta culture générale et juridique !

Ne sois pas seul(e) pour réussir tes études !




bottom of page